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Terres de reve ~ Partie 1 Chap 3

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CaelaSephyra's avatar
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Le soir commençait à tomber lorsque le train arriva à destination, dans la cité minière d’Helem. Nahru sortit en s’étirant du wagon où elle était restée assise durant une bonne partie du voyage, finalement fatiguée de rester debout affalée sur la rambarde du train. Aokura la suivit de près, jetant régulièrement des regards méfiants tout autour de lui.
- C’était trop génial ! ne put s’empêcher de lancer joyeusement Nahru.
- Fais-toi discrète, ordonna Aokura en guise de réponse. Par ici.
Nahru fit la moue mais suivit son compagnon de voyage sans broncher davantage. Elle s’éloigna du train sans le quitter des yeux, un petit sourire au coin des lèvres, espérant de tout cœur que le voyage du retour ne tarderait pas.
Helem était nettement moins animée que la ville dans laquelle elle s’était réveillée. Les gens y étaient sobrement vêtus, et quelques mendiants dormaient contre les murs des bâtisses en béton terni par le temps et le charbon. Ville minière, les citoyens travaillaient presque tous dans les entrailles de la terre, ce qui avait peu à peu envahi le paysage de suie. Les rues étaient sales, tout comme les modestes habitations. Nahru se sentit mal à l’aise, et elle n’eut bientôt plus envie de sautiller comme à la sortie du train. Devant elle, Aokura marchait d’un pas assuré, mais surveillait attentivement tout ce qui se passait autour d’eux. Les gens les regardaient passer, intrigués. Les deux voyageurs se détachaient sans mal du reste de la foule, vêtus très différemment des habitants d’Helem. Les quelques mendiants éveillés tendaient leurs mains sales avec espoir à leur passage, mais Aokura les ignorait totalement, tandis que Nahru préférait marcher tête baissée pour ne pas les voir.
- Ne me regardez pas comme ça… maugréa-t-elle pour elle-même. C’est lui qui a de l’argent, pas moi… Faites-lui donc les poches et laissez-moi tranquille…
De plus en plus de gens les épiaient, voire se rapprochaient d’eux à petits pas. Nahru accéléra ; Aokura fit de même, sans cesser de surveiller ses poursuivants. Alors que la jeune fille était presque à la portée de leurs mains crasseuses, un coup de feu retentit soudainement au beau milieu de la rue, chassant les mendiants qui détalèrent dans les ruelles, effrayés.
Aokura et Nahru se stoppèrent. Devant eux, deux hommes en uniforme militaire gris venaient d’apparaître dans la rue. L’un d’eux avait encore son pistolet dressé vers le ciel. Ils s’approchèrent doucement des deux étrangers, un sourire aimable sur le visage.
- Helem n’est pas un coin tranquille pour les voyageurs, déclara le tireur qui venait de ranger son arme, un grand brun qui devait avoir une trentaine d’années. Qu’est-ce qui vous amène par ici, étrangers ?
- Une affaire personnelle, répondit calmement Aokura, tandis que le second homme, chauve et presque aussi large que grand, commençait à épier Nahru avec intérêt.
Celle-ci se cacha derrière la cape du sorcier, bien contente que ce dernier apprécie les vêtements amples. Amusé par sa réaction, l’homme chauve lui lança :
- N’aie pas peur de nous, voyons, on ne va pas te manger ! Par contre, nous aimerions beaucoup nous entretenir avec vous… Auriez-vous l’amabilité de nous laisser discuter un peu seul à seul avec elle, jeune homme ? demanda-t-il à Aokura.
- Impossible, je suis responsable d’elle, rétorqua le sorcier avec froideur. Si vous voulez bien nous excuser…
Aokura recommença sa marche en dépassant les deux hommes, Nahru sur les talons. Les deux hommes les regardèrent s’éloigner. Le plus grand des deux sortit à nouveau son pistolet. Mais avant qu’il ait pu mettre Nahru en joue, Aokura s’était retourné et avait fondu sur eux.

Lorsque Nahru se retourna à son tour, elle retint un cri de stupeur. Elle n’eut absolument pas le temps de comprendre ce qui s’était déroulé sous ses yeux. Elle ne vit qu’une ombre blanche frapper les hommes dans tous les sens, armée d’un immense sceptre d’ébène. Il était surmonté d’une sphère bleue qui luisait d’un éclat adamantin, et déchaînait un pouvoir qu’elle n’avait encore jamais pu contempler. Elle n’avait même pas compris d’où Aokura avait sorti son arme. Les pistolets des hommes s’étaient retrouvés tranchés en deux dès la première seconde et, démunis, écroulés au beau milieu de la rue, une croix taillée sur chacune de leurs poitrines, les deux soldats se retrouvèrent bien vite en position de faiblesse. Aokura pointa l’extrémité de son sceptre, affûtée comme une lance, sur l’homme brun qui tressaillit.
- C’est comme ça que vous discutez, vous autres Neosiens ? demanda-t-il d’une voix glacée. Pourquoi vous en prendre à elle ? Qu’est-ce que vous voulez ?
- Ferme-la, sale Reculé, et donne-nous la fille si tu ne veux pas qu’on t’explose la cervelle ! cracha l’homme chauve en portant sa main à sa veste.
En réponse, il reçut un violent coup de sceptre qui lui heurta si violemment le crâne qu’il retomba inerte aux côtés de son camarade, les yeux révulsés. L’homme brun regarda Aokura avec un mélange de colère et de peur. De fines gouttes de sueur commençaient à perler sur son front.
- Nous nous sommes donné du mal pour mettre la main sur cette Porteuse, maugréa-t-il, même si j’admets que cette échappée était bien tentée. Si tout s’était déroulé comme prévu, tout se serait terminé hier ; elle aurait péri dans l’incendie comme tout le monde…
- Incendie ?... répéta Nahru, terrorisée. Quel…
- Ton village n’est plus qu’un tas de cendres, répliqua l’homme avec dédain. Et tous ses habitants aussi, d’ailleurs. Ton cher père était résolu à nous faire croire qu’il était toujours Porteur ; mais on ne s’est pas laissé berner. Il a fini au bûcher avec ta mère, et nous nous sommes aussitôt lancés sur tes traces…
Aokura sentit une colère incommensurable monter en lui, tandis qu’il réfléchissait à toute allure. Etait-ce bien vrai ? Etait-ce possible ? Hiéron était mort ? Son village tout entier aurait péri dans les flammes ? Devait-il croire ces deux hommes ? Mais s’ils étaient au courant pour la Passation de Nahru, cela ne signifiait-il pas qu’ils étaient effectivement très bien renseignés, trop même ?
Hiéron avait donc visé juste ?...
Aokura ferma les yeux, frémissant de rage. Derrière lui, Nahru n’avait pas encore vraiment réalisé ce que l’humain venait de dire. Elle refusait si fort d’y croire qu’elle était tentée de lui demander la vérité. Elle ouvrit la bouche, tremblante de la tête aux pieds, mais ne parvint à émettre aucun son. Aokura, en revanche, fit un pas supplémentaire vers l’homme en lui pointant le sceptre sur la gorge, tant et si bien que ce dernier sentit des frissons lui remonter jusqu’aux tempes.
- J’ai pas bien entendu… siffla Aokura avec une voix que Nahru jugea absolument terrifiante. Qu’as-tu fait à Hiéron et à son village ?...
En réponse, l’homme éclata de rire. Son torse sanglant faisait des soubresauts réguliers, ce qui devait certainement le faire souffrir malgré son hilarité. Aokura serra plus fortement son sceptre dans sa main, prêt à le faire taire.
- Les Porteurs doivent mourir, pour que leurs Esprits quittent enfin cette terre ! lança-t-il alors comme si c’était une évidence. Tue cette gamine, ça rendra service à ton foutu monde, crois-moi ! Et ne crois surtout pas que notre combat s’arrête ici !
Aokura plissa les yeux. Son regard était si perçant que l’homme brun vit son rictus déformé par l’appréhension.
- Réponds-moi, ordonna Aokura. Qui est derrière le massacre que vous revendiquez ?
En guise de réponse, l’homme jeta un regard derrière le sorcier. Ce dernier se retourna très lentement tout en gardant son sceptre pointé vers le Neosien. Personne.
Un cliquetis. Une arme cachée.
Aokura pivota trop tard.
Un nouveau coup de feu retentit dans la petite rue. Nahru poussa un cri strident lorsqu’elle vit Aokura reculer d’un pas, repoussé par l’impact de la balle. Mais il repartit aussitôt à l’assaut ; l’arme cachée de l’homme s’envola d’un côté, et son propriétaire ensanglanté de l’autre. Il retomba sur la tête et un odieux craquement se fit entendre, témoignant que sa nuque venait de se briser net.
Aokura posa un genou au sol et agrippa son épaule gauche avec sa main. Luttant contre la douleur, et submergé par le doute, il regardait fixement l’homme chauve évanoui devant ses yeux. Tout ceci était-il vrai ? Si oui, pouvait-il se permettre de garder cet individu en vie ?
Il connaissait la réponse.
Nahru se précipita sur Aokura mais ne parvint à stopper son geste. Le sceptre d’ébène traversa la gorge de l’homme à terre, et en ressortit aussi facilement qu’il était entré. La jeune fille, tétanisée, se détourna en se cachant les yeux. Trop. C’était trop. Elle se laissa tomber sur les genoux, oubliant l’état de la rue délabrée, les passants qui avaient la curiosité malsaine d’assister à la scène, tout. Tout ce qu’avait dit l’homme n’était que balivernes. Ça ne pouvait pas être vrai. C’était impossible…
Sa vue commença à se brouiller, et elle eut soudain la sensation de manquer d’oxygène. Ses mains tremblèrent lorsqu’elle tenta de les apporter à son cou, et juste avant de s’écrouler en avant, elle sentit un bras la rattraper.
Puis ce fut le noir.


****


Lorsque son esprit lui revint, elle était seule au beau milieu d’une plaine interminable. Elle avait beau regarder de tous côtés, elle ne voyait rien à part l’horizon inatteignable. Elle se leva. Marcha dans une direction au hasard. Puis se mit à courir. Plus vite. L’espace d’un instant éphémère, elle eut la sensation libératrice de tout laisser derrière elle, ses malheurs, sa frustration, sa profonde détresse, sa solitude.
Finalement, elle arriva à un village. Elle sourit en reconnaissant Elantis, son hameau natal. Petit mais charmant, habité par des gens chaleureux et pleins de vie. Elle aperçut ses parents sur le perron de sa petite maison à l’orée de la forêt. Ils lui faisaient des signes de la main. Elle voulut les rejoindre, mais elle se rendit compte que ses pieds refusaient d’avancer. Baissant la tête, elle remarqua que des ombres la clouaient au sol, emprisonnant ses pieds dans d’étranges filaments noirs. Elle regarda à nouveau devant elle.
Ses yeux s’ouvrirent en grand pour contempler le feu qui ravageait sa terre natale. Les toits s’envolaient dans des tornades de flammes qui détruisaient tout sur leur passage, elle voyait les gens crier au secours en vain ; entendait ses parents l’appeler, piégés sur le perron. Elle voulait aller les aider, mais ses pieds restaient obstinément cloués au sol. Elle les appela de toutes ses forces, en vain. Seules les cendres entendirent son appel. Puis des hommes sortirent de la fournaise, leurs bras levés. Un pistolet dans la main. Elle les vit décocher des sourires malfaisants, et appuyer lentement sur la gâchette…

Nahru se réveilla en sursaut. Son cœur battait à tout rompre. Elle jeta des regards paniqués autour d’elle, pour constater qu’elle se trouvait sur un petit lit, dans une chambre modeste mais accueillante. Les meubles étaient anciens mais entretenus, et elle remarqua que son sac avait été déposé près de la porte. Elle se laissa de nouveau tomber en arrière sur son matelas, scrutant le plafond, le souffle court. Sans se brusquer, elle tâcha de se remémorer les récents événements, à commencer par celui qui l’avait davantage bouleversée. Helem. Ces deux hommes armés. Elle se redressa lentement. Sa tête bourdonnait si fort qu’elle lui donnait des vertiges. Elle la laissa tomber dans ses deux mains ouvertes. Ils avaient raconté des mensonges. Ses parents ne pouvaient pas être morts. Elantis n’avait pas brûlé, c’était impossible. Ces gens étaient juste deux fous qui l’avaient prise pour une autre. Et tout s’arrêtait là…
Elle fut tirée de ses sombres pensées par des voix qui semblaient émaner de la pièce voisine. Timidement, Nahru se laissa glisser hors de son lit et quitta la chambre à petits pas, une main posée sur son front brûlant. Elle ouvrit la porte de bois et arriva dans un couloir qui se prolongeait sur sa gauche. Les voix venaient du fond. Elle se rendit lentement jusqu’à la pièce principale de la demeure, où elle découvrit deux personnes attablées, semblait-il en grande conversation. Le premier, qui lui tournait le dos, pivota vers elle en l’entendant arriver, et se leva aussitôt en la voyant.
- Mademoiselle Nahru, dit-il humblement. Comment vous sentez-vous ?
C’était un homme de taille moyenne, un hybride Loup couvert de tatouages tribaux, sur sa peau aussi bien que sur ses oreilles et sa queue touffues. Un Reculé qui gardait une apparence entre l’humain et l’animal. C’était courant, bien qu’elle n’en ait pas vu souvent. De l’autre côté de la table, ses mains entremêlées devant son visage, l’épaule gauche à découvert et couverte d’un épais bandage, Aokura la fixait d’un regard sombre.
- Ca… Ça va, bafouilla-t-elle, encore perturbée par son arrivée brusque dans cette demeure, face à un nouvel inconnu.
- Permettez-moi de me présenter, lança l’homme-loup avec une voix apaisante. Mon nom est Kerem.
Il se redressa ensuite vers Aokura :
- Vous devez avoir beaucoup à vous dire. Je vais vous laisser seuls, pour surveiller les alentours. Sollicitez-moi en cas du moindre besoin.
A la surprise de Nahru, il s’inclina devant Aokura pour repartir aussi sec. La porte se claqua rapidement derrière lui. La jeune fille resta un moment interdite avant de se tourner vers le sorcier, qui continuait de la regarder, l’air impassible. Nahru baissa la tête et s’avança lentement vers la chaise vacante de Kerem, dans laquelle elle s’assit. Quelques secondes tendues s’écoulèrent, avant qu’Aokura ne pousse un long soupir.
- Je suis désolé pour tout ce que tu as enduré jusqu’à maintenant, dit-il. Je te dois bien des explications.
Il sortit son calumet et le porta à ses lèvres.
- Je me nomme Aokura, à l’instar de mes célèbres prédécesseurs. Le vingt-sixième du nom, très exactement. Descendant de la lignée des sorciers du royaume d’Anethie.
Il laissa s’échapper une bouffée de fumée en direction de Nahru, qui ne broncha même pas. Elle était bien trop surprise et heureuse d’avoir enfin le nom de celui avec qui elle avait dû voyager contre son gré depuis deux jours mouvementés.
- Monsieur Aokura… répéta-t-elle, pensive. Vous êtes un sorcier, alors ?
- Pas de « monsieur », répliqua Aokura, et oui, j’en suis un. C’est pas donné à tout le monde de savoir faire ça.
Il tendit son bras droit sur le côté et d’un moulinet de la main, il fit apparaître le fameux sceptre noir, long et tranchant, surmonté de la sphère bleue qui luisait intensément. Nahru le regarda faire, bouche bée.
- Sans rire… Vous faites comment ? questionna-t-elle, visiblement impressionnée.
- C’est de la magie, répondit simplement Aokura en faisant disparaître son sceptre avec un gracieux geste de la main.
L’arme se volatilisa comme elle était apparue. Nahru décocha un sourire de travers.
- Il y a forcément un truc, lança-t-elle, incrédule.
- C’est vrai que tu n’as pas dû voir de magie tous les jours à Elantis… répondit Aokura, amusé. Mais ces pratiques ne sont plus si rares de nos jours. Contrairement à ceux qui savent les mettre en œuvre aussi bien que moi…
- Je n’en doute pas, répliqua Nahru en pensant le contraire.
Aokura prit une nouvelle inspiration dans son calumet, et la recracha tout en s’affalant dans son siège.
- Pour parler plus sérieusement, nous sommes dans une maison abandonnée qui nous sert de poste de surveillance dans la région d’Helem.
Songeant que la maison était rudement bien entretenue pour une demeure « abandonnée », Nahru regarda Aokura avec surprise.
- Poste de surveillance ? « Nous » ?
- Le clan dont fait partie Kerem est intégralement sous mon commandement. C’est une histoire un peu longue, mais pour essayer de te résumer ça… As-tu déjà entendu parler du royaume d’Anethie ?
- Bien sûr, répliqua Nahru. On dit que c’est le clan de Reculés le plus puissant qu’il soit !
- C’est cela. Les Loups qui y vivent peuvent se vanter de posséder une armée de guerriers aptes à rivaliser avec ceux de Neos. Anethie pouvait également se targuer, il y a quelques années encore, d’avoir à ses côtés une famille de sorciers prestigieuse. Mon père Aokura – vingt-cinquième du nom – était le second le plus respecté du seigneur Anetham, qui gouverne encore Anethie actuellement. Ils étaient par ailleurs très proches, étant cousins. Malheureusement, il s’est passé un événement qui a fait que mon père a quitté Anethie, alors que j’étais encore très jeune. Il s’est rapproché des Loups bannis qu’Anetham peinait à garder à distance de ses terres.
- Bannis ? Qu’avaient-ils fait pour être bannis ?
- Il y a eu des conflits de territoire entre leur chef maintenant décédé et le prédécesseur d’Anetham. Depuis, ces Loups ont tenté de renouer avec Anethie mais en vain, puisqu’Anetham refuse de leur faire confiance. Donc, mon père s’est imposé à leur tête et a restauré leur gloire passée en leur confiant la sécurité des alentours de la forêt d’Anethie. Cette décision, prise sans consulter Anetham, n’a fait que rendre leurs relations plus tendues encore. Et maintenant que j’ai succédé à mon père, ces Loups m’ont pris pour nouveau leader. Je n’ai, à l’instar de mon père, pas rejoint Anethie.
- Pourquoi ça ?
- J’ai mes raisons.
- Ben voyons…
Nahru poussa un soupir et commença à suivre les rainures du bois de la table avec ses ongles. Au bout de quelques secondes, ce fut Aokura qui brisa le silence :
- Kerem est mon second, c’est un informateur très doué, tout comme les autres Loups de ce clan d’ailleurs. C’est aussi mon père qui a amélioré leurs tactiques de combat, et amélioré leur mode de vie, ce qui a accru leur puissance au fil des années. Cependant, je suis certain que leur vœu le plus cher aujourd’hui c’est de rejoindre Anethie ; pas de répéter les erreurs passées.
Il expira de nouveau sa fumée malodorante. Nahru plissa le nez.
- Quand est-ce que vous allez arrêter de fumer ce machin ?
- J’ai pas l’intention d’arrêter, répliqua le jeune sorcier. Mon père a fumé ce truc toute sa vie, et même si ça te semble idiot, j’ai l’intention de faire pareil.
- C’est idiot en effet…
- Si tu t’y mettais, t’aurais plus l’air d’une gamine de dix ans, tu sais.
- J’en ai quinze ! s’écria Nahru en se redressant sur la table. Et puis je préfère encore avoir l’air d’une gamine plutôt que de ressembler à un vieux chnoque comme vous !
Aokura cessa de fumer, interdit. C’était bien la première fois qu’on le traitait de la sorte.
- Encore, des « jeune imbécile », j’y ai beaucoup eu le droit, dit-il, mais qu’on m’insulte de vieux chnoque à vingt-deux ans, ça m’épate.
Nahru le dévisagea avec stupeur.
- …Vous avez seulement vingt-deux ans ? Vraiment ?
- Pour ça qu’il faut que t’arrêtes de me vouvoyer, conclut Aokura en portant de nouveau son calumet à ses lèvres.

La journée dans la petite demeure s’écoula lentement. D’après Aokura, qui avait passé son temps accoudé devant la fenêtre à surveiller d’éventuelles visites, Kerem était parti prendre contact avec les informateurs qui avaient été chargés d’enquêter sur le soi-disant massacre d’Elantis, aussitôt qu’Aokura était arrivé dans la demeure. Elle était située à quelques kilomètres d’Helem, et permettait aux Loups du clan de surveiller les environs de façon très assidue. Mais d’après Aokura, les nouvelles ne viendraient pas tout de suite, dans la mesure où les Loups de son clan n’avaient pas pour habitude d’utiliser les mêmes outils technologiques que les humains pour communiquer. Ils préféraient utiliser des rapaces apprivoisés, ce qui était moins fiable mais davantage à leur portée, et totalement ancré dans leur culture.
Nahru avait passé le clair de son temps dans sa chambre, à observer le ciel à travers les carreaux. Les nuages avaient défilé par centaines du matin jusqu’au soir, ne laissant que peu de passage aux rayons solaires. Elle avait beau tâcher de penser à autre chose qu’à cette funeste histoire et ces deux hommes étranges en costume militaire, son rêve de la nuit même lui revenait sans cesse en mémoire, et elle commençait déjà à perdre espoir pour son village. Ces deux individus ne seraient pas venus à eux aussi bien informés s’ils n’avaient pas agi au préalable, au sein d’un mouvement certainement organisé et peut-être même assez puissant pour qu’elle ne soit en sécurité nulle part…
Nahru frémit, se recroquevillant sur elle-même. Elle aurait aimé avoir n’importe quoi à faire, pour la tirer de ses sombres pensées. Le soir tomba lentement. Les chants des oiseaux diurnes cessèrent petit à petit, pour laisser place aux hululements des chouettes.
La lune était resplendissante dans le ciel dégagé, lorsque Nahru entendit la porte d’entrée claquer.

Elle sursauta et regarda vers l’entrée de sa porte, l’oreille tendue. Elle entendait des voix à l’intérieur de la maison ; quelqu’un était arrivé. Le nouveau venu discutait certainement avec Aokura. A voix basse. De nombreux silences semblaient ponctuer leur conversation. Nahru sentit le rythme de son cœur accélérer de plus en plus.
Des pas dans le couloir. Elle déglutit. Aokura toqua à sa porte avant de l’ouvrir doucement. La jeune fille contempla le nouveau venu le cœur serré. Son regard était vide, sa tête baissée, et elle avait l’impression que ses bras frémissaient. Il leva les yeux vers Nahru.
Secoua négativement la tête.

Ses premières larmes coulèrent sans même qu’elle s’en rende compte. C’était impossible. Impossible, et pourtant, Aokura restait droit devant elle, sans changer d’expression, sans lui annoncer avec un sourire railleur que c’était une plaisanterie. Il restait là, le regard rivé dans le vide, un mélange de tristesse et de colère sur le visage. Et étrangement, ce dont elle fut tout de suite sûre, c’est qu’il avait aussi mal qu’elle.
Elle ne comprit pas pourquoi. Elle ne pouvait pas comprendre.
Nahru enfouit sa tête dans ses mains et pleura sans retenue. Elle ne voyait ni n’entendait plus rien, et s’en moquait. Elle ne ressentait plus rien mis à part une incommensurable tristesse. Elle ne se rendit même pas compte que le sorcier s’était avancé pour s’asseoir à ses côtés. Et elle ne broncha pas lorsque le bras d’Aokura se déposa sur le sien. Au contraire, elle s’agrippa aussitôt à ses vêtements et enfouit sa tête dans le creux de son épaule, sans parvenir à calmer ses pleurs. Aokura resta à ses côtés la nuit durant, partagé entre sa tristesse et ses doutes grandissants. Hiéron ne s’était donc pas trompé. Et avant de mourir, il avait juste eu le temps de confier à son meilleur ami sa fille unique, dernier joyau de son existence, et porteuse de tous les espoirs qui lui restaient…
Aokura ferma les yeux et serra Nahru contre lui.

Pour tous deux qui n’avaient pourtant rien en commun, un être cher venait de les quitter à jamais.
Et on retrouve Aokura et Nahru pour ce nouveau chapitre ! A la base j'avais prévu de poster toute cette partie en deux fois, mais je me dis que finalement ça aurait fait un peu court, donc la suite est plus longue que prévu.

Bonne lecture aux courageux qui affronteront ce nouveau chap ! :)

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Comments38
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The-Simple-Man's avatar
Assez triste, la dernière scène, en effet.
Par contre, ce Aokura me semble avoir des raisonnements simplistes! S'il faut fumer pour avoir l'air grand, alors que lui même fait ça parce que son père le fait, c'est pas malin malin...